GROS PLAN SUR L’ACTION HUMANITAIRE
Dans des situations de
crise provoquées par une catastrophe naturelle ou technologique, ou par un
conflit, l’action humanitaire a pour but de sauver des vies, d’atténuer la
souffrance des populations touchées et de préserver leur dignité. Les secours
matériels (médicaux, alimentaires, etc.) sont une composante importante de
cette action, qui ne saurait cependant être réduite à cette seule
dimension : la protection des populations requiert aussi des interventions
auprès de tous les acteurs concernés pour obtenir d’eux un comportement qui
respecte l’intégrité physique et la dignité des groupes et des individus
victimes de la crise
Dans les
années 90, l’action humanitaire a acquis dans les relations
internationales une importance beaucoup plus grande qu’au cours des décennies
antérieures ; un indicateur en est la part de 1’aide publique au
développement consacrée à l’aide d’urgence, qui passe de 1% au milieu des
années 70 à 5% une vingtaine d’années plus tard. Cependant, l’importance
du phénomène ne saurait être traduite qu’en termes de ressources financières.
L’action humanitaire fait partie de la politique étrangère de nombreux Etats
– surtout occidentaux – et occupe une place croissante dans la
panoplie des instruments de cette politique.
3L’accroissement
du nombre des catastrophes et crises de tous types expliquerait-il ce
phénomène ? Il est délicat de répondre à cette question ; faire des
comparaisons avec d’autres époques pose des problèmes méthodologiques, ne
serait-ce que parce que l’information sur ces événements est aujourd’hui
beaucoup plus systématique et plus accessible qu’il y a quelques décennies. Il
apparaît tout de même que le monde contemporain est soumis à des tensions qui
multiplient les risques de catastrophes et de crises dont les effets se
répercutent, par ondes successives, bien au-delà de leurs lieux d’origine.
Parmi les facteurs qui fragilisent la société mondiale on peut
mentionner :
§
Un régime instable des relations internationales. Avec
la fin de la guerre froide, nous sommes entrés dans une ère d’instabilité dans
les relations internationales qui permet le développement de crises et de
conflits nationaux et internationaux qui auraient auparavant été contenus par
les règles du jeu établies par les deux superpuissances rivales.
§
La globalisation et la fragmentation de la société
mondiale. Deux grandes forces modèlent cette société ; l’une, économique
et technologique, pousse à son intégration ; l’autre, en réaction, se
manifeste par la naissance ou renaissance de nationalismes, de sentiments forts
d’appartenance à une mouvance religieuse, à une communauté ethnique.
§
L’affaiblissement de l’Etat. D’une manière générale,
la faillite du modèle communiste de développement et l’expansion à l’échelle
mondiale du libéralisme économique ainsi que les dysfonctionnements des
structures étatiques ont remis en cause le rôle de l’Etat dans toutes les
régions du monde. Si dans bien des pays une redéfinition des structures et
fonctions des pouvoirs publics était nécessaire, elle est cependant souvent
allée trop loin, l’Etat ne pouvant même plus assurer les fonctions minimales de
l’Etat-gendarme (lutte contre la criminalité et les trafics illicites de tous
genres).
§
La montée des inégalités sociales. La libéralisation
des politiques économiques a favorisé l’émergence ou le renforcement de
l’exclusion sociale, particulièrement là où les structures économiques et
sociales portent en elles les germes d’une société à deux vitesses.
L’affaiblissement de l’Etat ne lui permet pas d’assurer la cohésion de la
société par la mise en place des mécanismes correcteurs propres à éviter
l’amplification du phénomène.
§
La dégradation de l’environnement naturel amplifie le
nombre et la gravité des sécheresses et des inondations. L’accroissement
démographique et l’accès inégal aux ressources (terre et eau) amènent des
populations à s’installer dans des endroits particulièrement exposés aux
catastrophes naturelles (séismes, éruptions, inondations).
Les facteurs mentionnés
ci-dessus se combinent pour accroître les risques de troubles, de conflits et
de catastrophes naturelles et technologiques dont les acteurs locaux ne peuvent
assumer seuls les conséquences humanitaires. L’attention que reçoit aujourd’hui
l’action humanitaire a pour principale cause l’intérêt accru qu’elle suscite
auprès des Etats des pays industrialisés, du fait
§
Des effets globaux des conflits ou des catastrophes
naturelles qui peuvent, en déstabilisant une région, porter atteinte aux
intérêts de nombreux Etats et propager leurs effets au-delà de la région,
notamment par des mouvements massifs de population. L’action humanitaire est
perçue comme pouvant limiter ces effets et en contenir la propagation.
§
De l’intégration de l’action humanitaire dans les
moyens d’intervention des Etats dans une situation de conflits pour compléter
– ou se substituer à – d’autres modes d’action, politique,
diplomatique ou militaire.
§
De la médiatisation : les conflits et
catastrophes d’aujourd’hui sont largement portés à l’attention de l’ensemble de
la population des pays industrialisés par les médias, encore que leur
« couverture » soit souvent sélective, éphémère et limitée aux
aspects les plus spectaculaires. Les gouvernements de ces pays sont ainsi
incités à être présents d’une manière ou d’une autre dans ces contextes par les
attentes de leur opinion publique.
Ce « triomphe
ambigu » de l’humanitaire est, selon François Jean, « fruit de
l’illusion d’une humanité enfin réconciliée autour du refus de l’inacceptable
et symptôme du désarroi face à l’impression de "nouveau désordre
international" Le label
humanitaire est désormais si prisé qu’il est devenu un brevet de légitimité
pour toute action, ou simulacre d’action, diplomatico-militaire ».
La multiplication des
acteurs humanitaires, gouvernementaux, intergouvernementaux, non
gouvernementaux est aussi un indicateur de cet engouement pour l’action
humanitaire. Si toutes les compétences et les ressources disponibles devraient
pouvoir être mobilisées pour protéger et secourir les victimes de catastrophes
et de conflits, il n’en reste pas moins que trop souvent cette prolifération
d’acteurs peut nuire à l’efficacité de l’action en raison du manque de
professionnalisme ou d’indépendance de certains d’entre eux et de la course à
la couverture médiatique et aux ressources financières.
Les années 90 ont
été – malheureusement – particulièrement riches en expériences sur
les réactions internationales à des situations de crises aiguës aux
conséquences humanitaires considérables. Du Rwanda à
la Bosnie-Herzégovine, du Soudan au Caucase ou à la Corne
de l’Afrique, des conflits, des famines ont réclamé un tribut particulièrement
élevé en vies et en souffrances humaines. Les Etats, les organisations
internationales et les ONG ont vécu des expériences toujours difficiles,
parfois traumatisantes, aux résultats très contrastés quant à la possibilité de
mettre fin aux conflits et de protéger et secourir les victimes. Ces
expériences ont quelque peu réduit les attentes quant au potentiel des
interventions « militaro-humanitaires » qui, il faut le noter, ont
toujours été décidées de façon sélective, en fonction des besoins humanitaires
certes, mais aussi des intérêts de politique extérieure et intérieure des Etats
intervenants.
Aujourd’hui, suite à
certaines désillusions, la mode de « l’interventionnisme
humanitaire » semble avoir quelque peu passé et l’accent est davantage mis
sur la prévention. Il n’en reste pas moins que les problèmes liés à l’action
humanitaire subsistent. Dans un environnement de plus en complexe, les défis
auxquels l’action humanitaire doit répondre sont nombreux. Voici ceux qui nous
paraissent les plus importants et qui s’adressent aussi bien aux gouvernements
qu’aux acteurs spécifiquement humanitaires.
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